- Angela Barthes
- Hélène Buisson-Fenet
- Nisa Fogère
- Régis Guyon
- Benoît Urgelli
- Isabelle Gaborieau
- Nadia Lausselet
[Entretiens Ferdinand Buisson #10]
Environnement, développement durable et patrimoine écologique à l’école
L’environnement, entendu comme « l’ensemble des éléments objectifs (qualité de l’air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté d’un paysage, qualité d’un site, etc.) constituant le cadre de vie d’un individu » (Larousse), fait l’objet d’une réflexion éducative depuis que les mouvements militants écologistes des années 1970 travaillent à diffuser une lecture critique des relations homme-nature dans les sociétés capitalistes, et promeuvent des valeurs naturalistes en opposition aux valeurs marchandes des sociétés de consommation avancées.
D’autres termes apparaissent ultérieurement, en particulier celui de « développement durable » (sustainable development), marquant la volonté d’’inscrire la mobilisation à l’échelle mondiale dans une forme de neutralité, résultat d’un consensus peu contraignant. Le rapport Notre avenir à tous de l’ONU (1987) recommande par exemple de considérer le patrimoine écologique comme un stock de ressources dont les usages présents ne devraient pas empêcher la satisfaction des besoins des générations futures, mais sans donner d’outils particuliers pour permettre aux pays d’atteindre des objectifs.
En impulsant la « décennie du développement durable » (2004-2014), l’UNESCO incite à introduire cette notion dans les programmes scolaires sous la forme de bonnes pratiques. Le basculement du développement durable de sa sphère onusienne d’origine vers celle de l’éducation a ainsi fait émerger de nouvelles missions assignées à l’école. Cette orientation se traduit dans le système éducatif français par une intégration transversale de la problématique dans l’ensemble des disciplines, par-delà la seule expertise des Sciences de la Vie et de la Terre (SVT). L’intégration de l’EDD dans les curricula demeure pourtant très inégale, encore davantage au lycée — où les préoccupations pour les disciplines sélectives l’emportent en prévision de l’orientation vers l’enseignement supérieur — qu’au collège ou à l’école primaire.
Dans un rapport en date de 2021, l’UNESCO notait ainsi que plus de la moitié des documents programmatiques d’une cinquantaine de pays ne faisait aucune référence au changement climatique en cours. À partir d’une enquête par questionnaire en ligne diffusé au printemps 2017, C. Redondo et C. Ladage 1 dégagent un échantillon de réponses permettant d’établir que 70 % des répondant.es sont enseignant.es du Primaire (contre 30 % de professeurs du Secondaire) et que la majorité sont des femmes (78 % de répondantes), sans que la variable « ancienneté dans le métier » ne soit aucunement explicative. Enfin, si 55 % des répondantes déclarent enseigner en ville (contre 45 % en milieu rural), une majorité de professeures (60 %) indiquent intervenir dans de petits établissements (moins de 10 classes). Quant au choix des thématiques de développement durable, on observe un traitement déséquilibré : deux grandes thématiques — l’environnement et les déchets — sont déclarées être abordées de manière prioritaire.
Suffit-il dès lors de mobiliser les habitudes didactiques classiques (du type « pratique des écogestes ») pour faire évoluer en profondeur les comportements, ou doit-on envisager des pédagogies plus innovantes, mobilisant par exemple l’analyse des controverses, quitte à renouer avec une définition proprement politique du geste pédagogique ?
Parallèlement, un certain nombre d’actions pédagogiques se développent, comme le concours Cube.S d’économies d’énergie entre établissements scolaires, la labellisation E3D/établissement en démarche de développement durable, ou encore l’élection d’éco-délégués contribuant à la sensibilisation et à la mobilisation des élèves, et dont le champ d’action couvre les différentes dimensions de l’environnement (écologique, sociale, économique…). La dimension organisationnelle s’annonce ainsi centrale dans une conception de l’éducation à l’environnement où il s’agit de « gouverner les conduites » au nom de l’intérêt collectif. Mais ces démarches de « mise en réflexivité » et de responsabilisation des individus et des collectifs scolaires n’ignorent-elles pas trop rapidement la dimension sociale des comportements et le registre symbolique des usages ? Comme le signalait déjà le père de l’écologie politique Serge Moscovici 2 : à trop miser sur la rationalité des acteurs, ne néglige-t-on pas leurs affects — et l’hédonisme, le mimétisme ou la recherche de distinction ne devraient-ils pas être aussi abordés comme des éléments de compréhension des pratiques, voire comme des leviers dans l’éducation à l’auto-régulation ?
L’éducation à la biodiversité, qui s’inscrit dans la popularité croissante de la référence à « l’anthropocène » pour qualifier l’impact de l’activité humaine sur les équilibres écologiques planétaires, questionne aussi à nouveaux frais ce que l’école peut transmettre et permettre d’apprendre de notre rapport au vivant. Analyser les données que nos cinq sens sont susceptibles de recueillir, problématiser la dialectique des désirs infinis face aux ressources finies, décoder les rapports d’appropriation et de domination dans les processus de civilisation et de colonisation, étudier les relations à la nature et aux « non-humains » selon les cultures et les croyances, apprendre à protéger et conserver… Si les écoles de plein air et les Forest Schools connaissent un regain d’intérêt dans la dernière décennie, comment intégrer ces liens sensibles à la nature et cumuler ces savoirs au-delà de l’enseignement primaire ? Comment l’école peut se saisir de dispositifs développés souvent en dehors d’elle et dans des établissements se revendiquant comme alternatifs ? Peut-on imaginer des « sciences participatives » comme de nouvelles façons d’apprendre — et sans naïveté, reposer la question de l’articulation entre savoirs, savoir-faire et savoir-être ?
Pour l’enseignement technique et professionnel agricole en particulier, l’adaptation aux évolutions environnementales est une problématique centrale, alors que les curricula sont l’objet de tensions entre les intérêts économiques des représentants des secteurs professionnels agricoles, largement réticents à l’égard du discours écologiste, et les concepteurs des diplômes. La construction de référentiels intégrant les principes du développement durable et plus récemment ceux de l’agroécologie se heurte aussi à des difficultés méthodologiques. Comment les diplômes du brevet de technicien supérieur agricole et du baccalauréat technique et professionnel prennent-ils dès lors en compte les questions environnementales ? Et quels effets ces savoirs qualifiants ont-ils sur le renouvellement des pratiques agricoles elles-mêmes, dans l’urgence de l’adaptation à la transition climatique ? Finalement, dans quelle mesure la mise en didactique de « l’environnement » ne participe-t-elle pas à dépolitiser cette question socialement vive – et aujourd’hui vitale ?
Ces Entretiens Ferdinand Buisson réuniront des universitaires et des acteurs éducatifs particulièrement engagés sur ces interrogations, en croisant des regards pluridisciplinaires sur les rapports entre éducation, écologie, développement durable et anthropocène.
Les intervenants :
- Angela Barthes, professeure au laboratoire ADEF (Aix-Marseille Université) ouvre le ban en examinant à la fois les apports et les limites d’une éducation au développement durable qui a du mal à se faire une place dans les curricula et dans les pratiques enseignantes.
- Nisa Fogère lui emboîte le pas à partir de l’exemple de sa double pratique d’enseignante de SVT et de formatrice dans l’accompagnement des enseignants comme des établissements.
- Benoît Urgelli, maître de conférences HDR à l’université Lumière Lyon 2, membre du laboratoire ECP, met en tension la question des contenus enseignés et la posture professionnelle des acteurs quant à la prise en compte des savoirs issus de la recherche comme du contexte politique et social.
- Frédéric Lalanne, directeur en lycée agricole, témoigne à la fois du positionnement de ce secteur d’enseignement au regard de la thématique de la transition, et des actions engagées concrètement dans son propre établissement.
- Isabelle Gaborieau, chargée de mission formation et agroécologie à l’Institut Agro, illustre la prise en compte des transitions agroécologiques dans la formation professionnelle continue dans l'enseignement agricole.
- Quant à Nadia Lausselet, professeure associée à la Haute école pédagogique Vaud (Lausanne), elle contribue à mettre en perspective le contexte suisse, tant du côté de la formation initiale et continue que des savoirs enseignés.
Animation de la table ronde :
- Hélène Buisson-Fenet : directrice de recherche CNRS, laboratoire Triangle, ENS de Lyon
- Régis Guyon : directeur adjoint de l'IFÉ, ENS de Lyon
Références :
1 Redondo, C. et Ladage, C. (2019). « Diversité et détermination des pédagogies de l’éducation au développement durable. » Ve Congrès international d’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Bordeaux.
2 Serge Moscovici (1972), La société contre nature. Paris, Union générale d’éditions.
Pour aller plus loin :
Les Entretiens Ferdinand Buisson font l'objet d'une publication chez ENS éditions.
Présence d'un stand ENS éditions durant la soirée.
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